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Auto édition

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9 mars 2011

Chronique - Charline et Evelyne


Le murmure des chimères


Lorsqu’un livre contient des dessins, on appelle cela des illustrations, signalant ainsi qu’ils sont là pour accompagner le texte, l’enjoliver ou le rendre plus vivant. Ils sont donc un « plus ». Parfois superflus, voire même inopportuns s’ils ne correspondent pas à l’idée que l’on se fait de l’imaginaire créé par les mots, ils sont bien souvent de belles œuvres d’art, un prolongement inattendu des pensées de l’auteur et une transcription merveilleusement rêvée, sinon exacte, de son univers. Le travail de Gustave Doré est pour moi l’exemple parfait, il y en a bien d’autres, de ce qui s’est fait de mieux dans ce domaine. Ses gravures de Don Quichotte, dont j’avais le bonheur de posséder une très belle édition grand format, ont marqué ma jeunesse au point que je ne puis me le figurer sous d’autres traits, malgré les nombreuses représentations inspirées par ce grandiose et mythique anti héros.

Le murmure des chimères

Dans Le murmure des chimères (éditions Brins d'Or), petit livre tout en délicatesse et subtilité, comme son titre le laisse entendre, Charline et Evelyne ont choisi de procéder différemment. Cette brochure d’une quarantaine de pages est avant tout un recueil de dessins inédits dus au talent de la première, et « mis en mots » par la seconde. Comme elles l’expliquent sur le site consacré à sa publication, les textes ont été créés à partir des images, et non l’inverse. 


           J’ai déjà évoqué tout le bien que je pensais de Charline, personnalité particulièrement douée et attachante, et de ce monde qui n’appartient qu’à elle. Les seize crayonnés qu’elle nous offre ici sont à la fois beaux, inspirés, et remarquablement réalisés tant dans la composition que dans le trait. Mais ils sont aussi, comme toujours chez cette jeune artiste, emprunts d’un charme raffiné, d’une poésie et d’une sensibilité que l’on rencontre assez rarement dans un genre où, précisément, ces qualités devraient être reines. Les paysages et les décors sont ciselés, étroitement mêlés, et les personnages ne s’en détachent pas comme sur un fond inerte, mais jaillissent de ce foisonnement vivant ou s’y confondent, animaux fabuleux, lutins timides ou porteurs de quêtes et de savoirs occultes, plantes douées de raison, êtres surnaturels et pourtant inextricablement liés à la nature. La vieille Abigaïl, Malayel cheminant, Alwyn de l’Étang aux Mirages, la famille Muscardin, sans parler des mirmirons, toutes ces créatures insolites et touchantes nous sont immédiatement familières. On sait que Charline peut fabriquer des monstres terrifiants, lorsque son travail d’illustratrice l’impose, mais le fait qu’en laissant libre cours à sa fantaisie, et le mot prend ici toute sa valeur, elle donne spontanément naissance à des êtres aussi sympathiques en dit long sur ses choix artistiques.
Illustrer par l’écriture ces images, en elles-mêmes si évocatrices, nécessitait un talent tout particulier. Si l’on en croit Evelyne, il a fallu beaucoup de travail pour y parvenir mais le résultat est à la hauteur de l’enjeu. Ses textes fort bien tournés sont très courts, juste ce qu’il faut. Ils « ornent » les dessins avec la même délicatesse, et une rigueur dans le choix des mots qui ne nuit nullement au lyrisme féerique, évitant soigneusement le piège de l’inutile description. Ils sont eux aussi un véritable « plus », car l’auteur a su entourer ces crayonnés d’un cadre narratif sans les alourdir, donner un sens aux énigmes qu’ils nous posent sans les élucider, ou poursuivre les récits commencés par Charline sans y mettre un terme, laissant au lecteur le champ libre à sa propre imagination. C’est bien là tout l’intérêt du conte et au-delà, à mon avis, de toute œuvre de fiction.
On regrettera simplement que ce petit livre ne soit pas relié, et n’existe que sous forme de feuillets agrafés. Mais je suis bien placée pour savoir que la réalisation d’une édition brochée coûte cher, et le travail de Charline pour la couverture et la mise en page compensent largement cette faiblesse. Espérons qu’un avenir prometteur s’ouvre devant cet ouvrage, qui mérite d’être connu du grand public, et que, bien sûr, il en viendra d’autres. On notera enfin la savoureuse préface de l’elficologue et auteur Pierre Dubois, dont l’érudition, si elle le rend critique à juste titre vis-à-vis d’un galvaudage du genre paradoxalement peu propice à la distinction de nouveaux talents, ne l’empêche nullement d’accueillir ceux-ci avec chaleur lorsqu’ils les rencontrent. Qui mieux que lui pouvait introduire au sein de la confrérie des fées les deux conceptrices de ce « Murmure des chimères » ? 

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