Croyez-vous aux fées ?
Quel que soit le nom sous lequel on
les désigne et leur lieu d’action, depuis l’aube des temps et sur toute la
planète, de drôles de créatures ont accompagné nos vies. Certes, dans les pays
occidentaux l’époque se veut rationnelle et pragmatique, n’accordant qu’à l’esprit
religieux de conserver un statut dont je ne sais trop s’il faut se réjouir. Certains
d’entre nous, pourtant, aiment à penser que ces êtres merveilleux existent bel
et bien. Ce sont là de doux rêveurs, bien sûr, des gens comme les autres
peut-être, en apparence, les pieds bien ancrés dans le réel et la tête dans les
étoiles, un reste d’enfance solidement chevillé au corps (n’ayons pas peur des
clichés, ils ont parfois le mérite d’être assez justes).
Richard Ely, auteur et
créateur entre autre du site Peuple féerique, est de ceux-là. Ses chroniques et
comptes rendus de l’actualité elficologique sont un parfait exemple de cette
tournure d’esprit particulière que nous sommes quelques-uns à essayer de
défendre, contre un monde de plus en plus féroce, notamment vis-à-vis des
rêveurs : y croire sans y croire, tout en y croyant quand même un peu. Et
pourquoi pas, lorsque la croyance en un dieu quel qu’il soit, elle, est considérée
comme étant parfaitement légitime et respectable, y compris dans les sociétés
laïques ?
Paru en mai
dernier, Le grand livre des esprits de la nature (éditions Véga) cosigné avec l’illustratrice
Frédérique Devos, en plus d’être un très beau livre, est une vrai mine d’or
pour tous ceux qui s’intéressent à ce petit monde mystérieux, à la fois si
proche, si fascinant et… si fuyant. Il est sous-titré : fées, elfes,
lutins, faunes, sirènes, pixies, dryades et autres créatures des forêts,
montagnes, rivières, océans et jardins. Richard Ely souligne ainsi plus encore
et à juste titre l’importance primordiale de cette nature, car c’est bien là, en
plus de l’origine populaire des récits dont il fait l’objet, ce qui sépare
le monde féerique du monde religieux, même si les deux ont souvent été
liés. Le christianisme, par exemple, s’est évertué à diabolisé ces héros de
légendes païennes, sans parvenir pour autant à les détruire. Et si des figures
telles que les elfes sublimés par Tolkien, lui-même très croyant, (ou pour
quitter l’occident, les Shinseën, esprits chinois de la montagne) sont quelque
peu emprunts de spiritualité, ils ne quittent notre monde que pour des lieux
voisins, forêts enchantées, monts embrumés ou havres gris. D’une certaine
manière, ils restent à notre portée. Ces êtres peuvent être immatériels (et
malheureusement pour tous ceux qui rêvent de les rencontrer, en général ils le
sont !) ils n’ont que peu de parenté avec les anges, archanges et autres figures
célestes. La plupart d’entre eux, même pourvus d’ailes, sont tout aussi
fondamentalement terrestres que les abeilles et les papillons. Les abeilles
ouvrent d’ailleurs le bal dans ce recueil, et ce n’est pas un hasard. Quant aux
papillons, on en retrouve la trace entre autre dans leurs doubles italiens que
sont les farfarelli. Bien loin de ces dualités chères au dogme chrétien, lequel
s’acharne à opposer le ciel et la terre, le bien et le mal, Ces êtres fabuleux
peuvent être versatiles et choisir de se montrer bienveillants ou malveillants
selon les circonstances et les individus auxquels ils sont confrontés.
Directement issus de la nature, ils sont donc très près des animaux, mais finalement
tout autant de nous, de nos aspirations et de nos défaillances. Leurs histoires
sont porteuses d’enseignements et de sagesse plus que de morale au sens strict
du terme, et ils n’ont pas pour desseins de servir les puissants.
Les nombreux
personnages habitant cet ouvrage nous sont présentés de façon à la fois très
sérieuse et très évocatrice, comme il se doit. Chacun a droit à sa fiche, avec ses
légendes associées, ses caractéristiques physiques et son étymologie auxquels
s’ajoutent des conseils sur la meilleure façon de l’attirer dans son jardin, ou
encore d’éviter son contact. Le voyage autour du monde qui nous est proposé ne
fait qu’effleurer l’Asie, l’Afrique, l’Australie et les deux Amériques pour
s’attarder longuement sur l’Europe. Mais peu importe, car les diverses
déclinaisons de chaque type selon les régions ou les époques nous montrent fort
bien à quel point l’imagination populaire est fertile, mais aussi combien les
humains se ressemblent d’où qu’ils viennent. Les feux follets hantent presque toutes
les parties du globe sous de multiples appellations, de même que les esprits
crieurs ou « noyeurs », les figures aquatiques annonçant la mort,
telles que lavandières et water babies. Le thème de la tentation dangereuse comme
celui des métamorphoses, bien sûr, sont récurrents. Les loup garous prennent
des noms et des formes différentes selon les lieux mais partout symbolisent l’ancestrale
sauvagerie de la nature humaine et animale. On ne compte pas les lutins
farceurs et les fatales séductrices, ceux qui vous font perdre votre chemin,
vous étourdissent ou vous entraînent dans des rondes endiablées. Le ressentiment
contre les hommes s’exprime chez la Lorelei, les sirènes et autres nixes, « larmes
des rivières », et la misogynie à travers ces mégères que sont les martes (autrement
dit matrones !) qui martyrisent les pauvres paysans. Certaines de ces
créatures donnent un sens magique à des phénomènes bien réels, comme les bogies
transformés en bottes de paille s’alourdissant peu à peu sur le dos des
petites vieilles qui doivent les porter, ou les changelins, leurres féeriques
substitués aux bébés humains, souvent convoqués pour expliquer les
malformations. On le sait, ce monde-là, s’il est enchanté, est loin d’être toujours
enchanteur. Toutes les peurs et toutes les vilénies s’y rencontrent. Mais à côté
de ces monstruosités, nombreux aussi sont les esprits protecteurs, les gardiens
du verger, les tisanières, ceux qui favorisent vos récoltes, veillent sur votre
santé et sur les naissances à venir. Quant à ces délicieuses créatures que sont
les anjanas, florelles, hayettes, pillywiggins ou vendoises, amies des animaux,
des fleurs, des enfants et des arbres, elles n’ont pas fini d’illuminer nos
rêves et de nous ensorceler. Elles sont les incarnations de l’éternelle beauté,
de la grâce, de la délicatesse et de la douceur, toutes choses qui nous sont
nécessaires, bien plus que ne l’imaginent beaucoup d’entre nous, et que nous
devrions préserver à tous prix. Car celles-ci ne resteront nos amies que si nous
réapprenons à respecter la nature. C’est aussi le message, devenu banal peut-être,
mais plus que jamais d’actualité, et d’une importance capitale, que nous livre
Richard Ely. À travers cette encyclopédie originale, extraordinairement érudite,
riche et foisonnante, nous sommes invités à défendre, outre le petit peuple,
l’environnement fragile ou il vit et s’ébat, et que nous ne cessons de mettre
en danger.
Comme on peut le voir, la mise en page du grand livre des esprits de la nature est très réussie, avec ces encadrés blancs sur fond très légèrement doré et enluminé. Mais surtout, les aquarelles de Frédérique Devos sont magnifiques, à la fois éclatantes et raffinées, qu’elles soient en pleine page ou en miniatures ornant délicatement les écrits. Loin de ne faire que suivre les descriptions, en fidèle émissaire des fées, la dessinatrice a donné libre cours à son imagination, et celle-ci est exubérante dans le meilleur sens du terme. Elle nous offre un feu d’artifice, une véritable éclosion de formes inédites et de couleurs superbement harmonisées. Il y a dans son monde merveilleux et très personnel un petit côté art nouveau, mais avec bien plus de liberté, qui surprend agréablement. Car les clichés sont nombreux, hélas, dans le genre féerique et elle s'en échappe de façon admirable. Une grande réussite que cet ouvrage, indispensable à votre bibliothèque si le sujet vous passionne. Et si les critiques le concernant sont élogieuses, sachez que dans ce cas précis, c’est tout à fait mérité.
Visiter ici le site consacré au grand livre des esprits de la nature.
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