Le petit marchand de sable
De Charline et Evelyne
(Éditions Brins d’or)
Troisième
parution des Éditions Brins d’or, ce dernier bijou de Charline et Evelyne
inverse en quelque sorte les rôles, et renoue avec la forme traditionnelle des
livres illustrés. Cette fois-ci, c’est bien une histoire qui nous est contée, donc
née sous la plume de la seconde et mise en images par la première. Cette
rupture avec un procédé qui, dans les précédents, semblait relever d’une
formule magique tant le résultat était enchanteur, présentait évidemment un
risque. Malheureusement encore trop peu connue, Charline est une illustratrice hors
pair. Mais à mon sens elle n’est jamais meilleure que lorsqu’elle laisse son
imagination fertile s’envoler librement, sans le support d’un texte. Quant à
Evelyne, par ailleurs auteure d’un roman publié en feuilleton sur internet, on
sait qu’elle excelle à faire jaillir la fable amusante ou charmante dissimulée
derrière chaque dessin de sa collaboratrice. Mais que l’on se rassure. Ce petit
marchand de sable ne déçoit en rien. Il est parfois bon de ne pas
s’enfermer dans ce qui pourrait devenir une simple recette au goût de « déjà-vu »,
même s’il y a peu à craindre que nos deux ensorceleuses ne sombrent jamais dans
la banalité.
Le Maître des Sables et son apprenti |
Ce fort joli conte qu’Evelyne nous a concocté s’adresse plus spécifiquement à un public très jeune. Elle a d’ailleurs pris soin d’y ajouter un lexique, consciente que des mots tels que « chaumine », « emmouscailler », ou « sibyllin » ne lui sont guère familiers de nos jours, ce qui d’ailleurs est des plus regrettables. L’idée est bonne, car l’intérêt de toute lecture, au-delà du plaisir qu’elle suscite, est bien d’enrichir le vocabulaire autant que la pensée. Le récit met en scène Tidwyn, petit apprenti du Maître des Sables. Celui-ci veille depuis des siècles sur le sommeil des habitants de Kéodose, et songe à prendre sa retraite. Il confie donc à son successeur la mission d’aller recueillir la poussière d’étoiles dans le désert magique, là où ces dernières « ruissellent du firmament ». La route sera longue, émaillées comme il se doit de rencontres fabuleuses. Il faudra surtout éviter les pièges du Roi des Cauchemars qui cherche à s’emparer des secrets de la poudre de rêves. L’idée sur laquelle est fondée cette histoire est très belle, originale bien qu’elle évoque un personnage déjà connu, quoique différemment, des amateurs de féerie, je pense à Andersen, et plus largement des grands enfants de la télévision que nous sommes. La narration est bien menée, riche de rebondissements et d’interventions drôles et poétiques, tel ce sage épuisé dirigeant un chœur de sansonnets en tapant de sa cuiller sur sa tasse de thé, ou ces pierres vivantes, sentinelles d’un escalier sans fin, et encore ce pécheur d’étoiles, ou plutôt de larmes de lune, dans sa barque en forme de croissant. On notera aussi le refus de résoudre les conflits par la force, car il est bien question pour venir à bout du « méchant », non pas de le tuer, mais de le faire « s’endormir pour l’éternité », ce qui est indéniablement plus doux pour la conscience du héros. Sachant que ce conte est destiné à des enfants, souvent abreuvés de violence par ailleurs, on ne peut que souscrire. Nous l’avons vu, Evelyne sait manier les mots. Qu’ils soient anciens, usuels ou peu communs, ils sont toujours évocateurs. Elle sait aussi en inventer d’autres pour attiser la curiosité ou rehausser le dynamisme des dialogues, ce qui ne nuit en rien, bien au contraire, à la qualité de son écriture.
Pour en revenir à Charline, comme toujours, et nonobstant
mes propos introductifs, les dessins et enluminures agrémentant le texte sont
admirables et ses aquarelles en pleines pages, plus magnifiques les unes que
les autres. De plus, la maison Brins d’or n’étant pas avare, loin s’en faut, un
petit carnet de ses croquis vous est offert en bonus à la fin de l’ouvrage.
J’ai dit à plusieurs reprises à quel point j’admire son travail. Pour ne pas me
répéter, j’invite le lecteur à se référer aux chroniques antérieures, celle du Murmure des chimères, comme celle des Fabulines enchantées. Je tiens cependant
à faire ici une déclaration solennelle qui, évidemment, n’engage que moi, mais
au sujet de laquelle je n’ai pas le moindre doute. Charline est une grande, une
très grande illustratrice. Certes bien d’autres de ses confrères et consœurs spécialisés en féerie
ont un talent indéniable, une technique sans faille et un sens éprouvé de
l’harmonie visuelle. Certains parmi eux ont su en outre créer un univers bien à
eux, ce qui est déjà moins courant. Mais très peu ont cette capacité à
insuffler une âme, à offrir une vie presque palpable, émouvante et singulière à
ce petit monde né de leurs crayons et pinceaux. Et c’est bien là la qualité la
plus rare et le plus haut degré, non pas de perfection car celle-ci importe peu,
mais peut-être de plénitude et de sensibilité, qu’un artiste de ce genre puisse
espérer atteindre.
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire