« Cette image a été générée par une IA ».
Un jour proche peut-être, cette précision qu’il convient d’ajouter le sera plutôt dans le cas contraire, tant l’« avancée technologique » ainsi désignée tend à s’imposer dans l’espace public. Je ne vous surprendrai pas en soulignant qu’il m’est difficile de la défendre, son utilisation étant déjà aussi abusive que peu scrupuleuse, voire même frauduleuse. « L’IA, ce n’est pas de l’art, c’est du vol ! » disent à juste titre bien des dessinateurs. Je les admire et les respecte trop pour leur donner tort, même si je sais qu’ils auront du mal à faire reculer ce que « le marché » considère déjà comme un avenir prometteur, notamment dans le domaine de l’illustration. L’histoire n’est pas nouvelle. Pourquoi payer des humains quand une machine fait aussi bien, voire mieux, du moins de leur point de vue, au demeurant fort discutable ? Seulement voilà, à ce stade, l’IA ne crée rien, elle ne fait que copier, plus ou moins fidèlement. Pour obtenir l’image souhaitée, il faut lui fournir des modèles (autrement dit, des prompts) et des instructions détaillées. Le comble de la malhonnêteté est donc de présenter (et de vendre) comme une œuvre personnelle, le résultat d’un simple calcul à partir du travail réel d’un artiste, souvent très peu éloigné de l’original. J’ai vu de ce type d’escroquerie des exemples flagrants. On peut cependant considérer qu’il s’agit d’une amélioration, à condition de juger comme telle une perfection froide, un lissé sans défaut, ce qui est loin d’être vrai à mon sens. Quoi qu’il en soit, l’IA existe. Il va falloir faire avec, et résister le mieux possible à sa tyrannie.
Fort de ce raisonnement, avec les doutes qu’il implique, et afin de mieux comprendre son fonctionnement, mon frère Johan a fait des essais en utilisant des outils Open source. Il a de la sorte demandé et acquis des images illustrant Alice au pays des merveilles à la manière de Mœbius. Je ne vous les montrerai évidemment pas, d’autant moins que je ne les ai pas vues, quoique cela m’intrigue fortement. En revanche, celle que vous voyez ici est une nouvelle version d’un de mes personnages. Il s’agit de Sérylia, héroïne de ma trilogie Corliande. Pour l’obtenir, il a utilisé certains de mes dessins, ainsi que la toute première illustration créée par mon amie Sophie Lopez, auxquelles il a adjoint des mots clefs tels que plumes, adolescente, mauve et forêt, entre autres. Il lui a fallu des heures de patience et plus d’une centaine d’images, avec parfois des résultats des plus farfelus, pour arriver à celle-ci. Encore a-t-il dû la retoucher par la suite, ce qui donne au final un tableau composite, mélangeant le travail de trois personnes ajouté au logiciel.
Ignorant tout de son activité, j’ai reçu ce portrait par mail, sans savoir au préalable de quoi il s’agissait, à part que c’était de l’IA. Contre toute attente, et nonobstant mes propos du début, j’ai été très émue en le découvrant. Est-ce parce que l’auteur était mon frère ? Et le sujet, l’une de mes créatures ? Je ne saurais dire. Mais je l’ai trouvé très beau. Outre les couleurs et la composition, j’ai été frappée par le relief, la façon dont elle semble venir vers nous, et le côté volontairement imparfait de sa réalisation, notamment pour le décor. La semaine dernière, je vous présentais Zéphyr, ayant pris forme et volume sous les doigts de Sophie. Aujourd’hui, c’est donc Sérylia qui apparaît, dotée d’un nouveau visage, ce qui, cette fois encore, ne me gêne nullement, bien au contraire. Et cela a suscité en moi une réflexion amusée : n’est-ce pas étonnant que ce personnage dont si peu connaissent l’existence, et moins encore ont lu les aventures, ait déjà fait l’objet de trois représentations ? Une autre pensée m’est venue, un peu moins drôle. Si toutes étaient proposées à l’appréciation d’un large public, j’ai bien peur qu’une grande proportion, au moins parmi les plus jeunes, ferait sans hésiter le choix de cette dernière. Et vous, qu’en pensez-vous ?