Le tableau
Un film de Jean-François Laguionie
Scénario d’Anik Le Ray
Sorti il y a un an au cinéma, mais toujours disponible en DVD, cet étonnant
dessin animé de Jean-Francois Laguionie n’est sans doute plus tout à fait d’actualité.
Cependant, son succès critique et populaire ne faiblit pas, et voilà qui est
une fort belle surprise. Car, tant par son sujet que par son esthétique, ce
film ne ressemble en rien à ce qui nous est couramment proposé. Il est vrai que
dans les productions actuelles en matière d’animation, notamment en France, la
diversité est la règle et l’on ne peut que s’en réjouir. Malgré tout, rares
sont celles qui sortent à ce point des sentiers battus. Tout d’abord, Le
tableau s’appuie sur un scénario intelligent, à la fois complexe et accessible
au plus grand nombre. Les enfants peuvent apprécier l’histoire qui leur est
contée, sans peut-être en mesurer la profondeur, mais avec la perspective
toujours encourageante d’une redécouverte future.
Le
décor est un tableau inachevé, avec une forêt et un parc au sommet duquel trône
un château. Dans celui-ci prospèrent les Toupins, arborant des teintes
chatoyantes et se croyant supérieurs aux autres. Les Pafinis, rejetés parce
qu’incomplets, vivent relégués dans des huttes au fond du parc et sont partagés
entre la rébellion et l’envie de s’intégrer à l’élite. Les Reufs, enfin,
simples esquisses incolores, rebut de la société, sont les souffre-douleurs des
premiers. L’élément déclencheur de l’intrigue est une relation amoureuse entre
Ramo, un Toupin et Claire, une Pafinie, relation vouée à l’incognito ou à la
condamnation de la part des deux communautés. Pour mettre un terme à ce
conflit, Ramo décide de partir à la recherche du peintre, afin qu’il termine
son tableau et instaure ainsi l’égalité. Claire, capturée par les Toupins, est
emprisonnée. Mais Lola, autre Pafinie amie de celle-ci, accompagne Ramo dans sa
quête. Un Reuf appelé Plume, incorporé de façon fortuite, sera aussi du
voyage.
Bien
sûr, l’élément premier du film est la critique sociale, mais il va bien
au-delà. Si l’injustice de ce petit monde nous révolte, si l’histoire d’amour
nous émeut, des questions moins évidentes nous sont posées : pourquoi un
simple constat de différence mène si facilement à la compétition pour le
pouvoir ? Cela ne nous est pas dit, mais on peut supposer que les Toupins
n’ont guère eut besoin d’utiliser la force, si tant est qu’elle était de leur
côté, pour s’emparer du château. Le regard que l’on porte sur soi-même est bien
souvent au cœur des antagonismes, lesquels perdurent surtout par la soumission
ou le ressentiment stérile. Quelle est en outre la part de choix et
d’initiatives individuels, si l’on se considère juste comme les victimes d’un
obscur ordonnateur qui nous aurait créés, puis nous aurait oubliés ? De ce
point de vue, la réponse apportée au problème des Pafinis et des Reufs, que je
ne révèlerai pas ici, est très intéressante. À travers la métaphore de la
forêt, la peur de l’inconnu, repoussé au profit du connu, des superstitions et
de leur conditionnement pourtant délétère, est aussi évoquée.
La
couleur, dans cette belle œuvre, est évidemment souveraine, avant tout pour sa
signification symbolique. Elle est synonyme de richesse et de réussite sociale
pour les Toupins, mais aussi d’appartenance à un groupe, ou à une armée, comme
dans le deuxième tableau évoquant la guerre. C’est encore ici celle qui divise,
mais c’est elle aussi qui amènera la paix. Les scènes situées à Venise
célèbrent enfin la couleur emblème de vie, de joie et d’inspiration. Elle
s’oppose à la camarde, poursuivant de sa faux le pauvre Reuf qui en est privé.
Certains passages, par exemple celui, surréaliste, des fleurs géantes dans la
forêt, sont magnifiques. Évoquant
les recherches picturales du début du vingtième siècle, on songe à
Gauguin, ou Matisse, mais aussi à Gaudi ou Chirico pour les décors, la
« palette » est vive, audacieuse et parfois subtile. L’utilisation
des techniques numériques pour l’animation comme pour les textures est
appropriée, le rendu « coups de pinceaux » servant parfaitement
l’esprit du film. On peut préférer la 2D, moins mécanique et plus virtuose du
point de vue de l’animation pure, mais sachant quelles difficultés celle-ci
aurait posées, on reconnaîtra la pertinence de ce choix et la qualité du
travail présenté. La musique de Pascal Le Pennec, enfin, accompagne joliment
l’histoire et l’émotion qu’elle suscite.
Claire exceptée, dont le visage pâle affiche une mélancolie permanente mais
voulue, les personnages sont expressifs. L’orateur chez les Toupins est odieux
à souhait. Les rencontres avec Magenta, drôle de gamin bien sympathique, et
Garance, modèle du peintre amoureux, puis de son autoportrait tourmenté
enrichissent brillamment le récit. Mais si le courageux Ramo est au centre de
celui-ci, menant souvent l’initiative et apportant la solution, la véritable
héroïne du film est Lola. La très jeune Lola, dont la physionomie créole est d’ailleurs
significative, se trouve très bien telle qu’elle est et ne se soucie guère
d’appartenir à l’un ou l’autre clan. Plus libre que les autres, elle porte
aussi plus loin ses pensées, et le fait d’être incomplète, insatisfaite peut-être
mais donc sans certitude et en perpétuelle évolution, la pousse à chercher, au
delà de ce monde encadré né de l'imaginaire d'un artiste lunatique, des
réponses à de bien plus vastes questions.
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