Un matin comme un autre sur France
Inter. Augustin Trapenard commence son émission par son petit édito quotidien.
Aujourd’hui, il évoque le décès de Rémi Fraisse, et invoque René Girard, anthropologue,
auteur de « La violence et le sacré ». Selon le journaliste, ce mort anonyme, cet
innocent « sans grand engagement » (Pourquoi sans grand engagement ?
Parce qu’il était pacifiste ?) n’aurait été qu’un témoin transformé en « martyr
et en saint ». Passons sur l’emploi de ce langage religieux n’ayant d’autre
but, conscient ou pas, que de réduire la révolte suscitée par ce drame à des lamentations
de fidèles plus ou moins arriérés. En fait, il va beaucoup plus loin. S’appuyant
sur les travaux du chercheur cité plus haut, il voit en ce jeune homme une victime
sacrificielle, le bouc émissaire nécessaire à toute société, détournant sa
violence vers un seul individu, lequel servira ainsi à ramener la paix autour
de son cadavre. Dès lors, comme il le dit lui-même, « Est-ce bien
important de savoir qui a lancé la grenade ? Ne vaut-il pas mieux assumer
notre violence archétypale et sacrificielle ? » Il termine en
ajoutant que « C’est bien plus dérangeant, mais au moins, qu’on aille de l’avant ! »
Mais pour qui est-ce dérangeant ?
Pour nous tous, bien sûr. Nous qui sommes si violents, sans le savoir et
apparemment sans « l’assumer ». Ce n’est certainement pas dérangeant pour
les autorités, lesquelles se voient tout à coup dédouanées par ces considérations
« savantes » et se voulant au-dessus de la mêlée. Car il s’agit bien
ici de violence d’État. L’oublier purement et simplement, la confondre avec
celle, pulsionnelle, que tout individu porte en lui, est une supercherie. Lui
attribuer un sens mythique est un moyen particulièrement insidieux, parce que se
réclamant d’une pensée dite intelligente, de le décharger de toute
responsabilité. Quant à « aller de l’avant » ! Belle avancée en
effet que de nous ramener sans cesse à notre passé religieux, et à ce qu’il y a
de plus primitif en nous pour nous éviter de réfléchir à ce que doit être toute
organisation sociale, notamment pour ce qui touche à l’insurrection et à la répression
qui y répond.
Mais son invité, l’écrivain Aurélien
Bellanger, récemment couronné par le prix de Flore, n’a pas démérité. Interrogé
sur cet évènement, en relation avec le sujet de son livre « L’aménagement
du territoire », il nous a livré une analyse extraordinaire. Tout d’abord il
s’est dit étonné que le drame ait eu lieu à cet endroit, et non à « Notre-Dame-des-Landes ».
Car il ne s’agit, au Testet, que de petits travaux pour un barrage, « même
pas pour fournir de l’électricité ! » (On sait la peur irrationnelle
que celle-ci a pu provoquer et provoque encore probablement chez certains). Rien
de tel ici, sinon « la prise en compte d’enjeux de défense d’espèces complètement
inconnues, de batraciens... On n’est pas face à un énorme chantier
terrifiant, avec plein de grues et des hectolitres de béton ! » Ce
simple énoncé contient une telle méconnaissance de l’importance de la biodiversité,
et un tel mépris pour ceux qui la protègent qu’il laisse pantois. Si l’on peut
supposer que ces espèces ne sont pas totalement inconnues pour ceux qui les
étudient, qu’elles le soient pour lui ne fait aucun doute. Passons, là aussi,
sur son manque d’intérêt pour elles, comme pour ces batraciens qui ne valent
sans doute pas que l’on s’y attarde. Mais parler d’un « chantier terrifiant
avec plein de grues » en dit long quant au regard qu’il porte sur les zadistes,
soupçonnés d’être de pauvres passéistes superstitieux, en proie à des frayeurs
enfantines. « Ces nouveaux, euh… ces mouvements décroissants qui ont
quelque chose un peu très premiers chrétiens dans le fanatisme et dans l’intransigeance
morale, dans l’approche morale de refus de la technique, mais qui dit que la
technique est mauvaise intrinsèquement. »… Tout est dit en effet. On
pourrait bien sûr lui rétorquer qu’il y a toutes sortes de techniques et que
les plus avancées d’entre elles ne sont pas forcément celles que l’on croit. Mais
ne soyons pas trop sévère. Peut-être tente-t-il finalement de se rattraper en
refusant de prendre réellement parti, parce qu’il est fasciné par ce progrès
tant décrié et a « peur de sa propre bêtise ». Et laissons-lui donc la
paternité de cette conclusion.
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